Construction d'une Maison

 

 paysanne à Prouvais

 

DANS   L'ANCIEN   TEMPS

 

 

La maison de mon père, démolie quelques années avant la guerre, était une très vieille maison de Prouvais. Elle n'avait pas cette pierre gravée qui indique l'année de la construction, mais tout le monde s'accordait à la considérer comme la plusancienne maison du village. Basse, couverte de chaume, à ouvertures petites et peu nombreuses, elle donnait de suite cette impression à ceux qui la voyaient.

Mais si elle était ancienne et sans aucune distinction architecturale, elle avait quand même un grand intérêt parcequ'elle était, reportée à deux ou trois cents ans en arrière, la solution d'un problème qui préoccupe beaucoup les peuples modernes : l'habitation ouvrière à bon marché, la maison économique du paysan, et cela dans un village qui n'avait pas de bons matériaux de constructions.

A cette époque il y avait peu de moyens de communication. Même de village à village les transports étaient difficiles, il fallait donc pour construire économiquement se contenter de ce que le sol du village et son sous-sol pouvaient donner ou produire.

Le Village

Prouvais est situé aux confins de la Champagne et de l'Ile de France. De la Champagne il a son sous-sol de craies et de marnes qui affleurent sur une partie de son terroir. De L'Ile de France il a sa butte, sa « montagne », îlot détaché des falaises du tertiaire, comme le Mont de Brimont, et donnant, comme le tertiaire inférieur, sables et argile. La butte est boisée, elle a au Nord, une fontaine qui a motivé, par l'approvisionnement facile du village, dès la plus haute antiquité, la construction de Prouvais à l'extrémité d'un terroirlong de cinq kilomètres, très morcelé, et, par suite de sa nature géologique et de l'éloignement de beaucoup de ses terres, de valeur très inégale : ayant eu par conséquent beaucoup de cultivateurs riches et pauvres.

Le Constructeur de la maison a été un de ces petitscultivateurs.

La Ferme

   Voici la disposition des locaux : à un carrefour de rues, à un endroit où on pouvait naturellement rechercher une vue agréable et animée, on avait au contraire concentré toute la vie autour de la cour intérieure. Les murs extérieurs ne présentaient que la porte ordinaire d'accès et la porte de la grange, ce qui laisse à penser que la construction remontait à une époque troublée où la sécurité passait avant toute autre considération.

La Maison d'Habitation

La maison d'habitation, mieux que les dépendances, peut, par la variété des problèmes de construction à résoudre, donner une idée de la manière de construire d'alors ; bornons-nous donc à son étude.

Le plan : Un rectangle de 15 mètres de long sur 6 mètres de large. Trois cloisons transverses séparent quatre pièces : la salle commune, la plus grande, avec un lit dans une alcôve près de la cheminée ; une chambre à coucher avec lit dans une alcôve et petit réduit à provisions en bout ; le fournil contenant un lit et un passage pour aller au jardin et à l'escalier du grenier qui s'appuie sur le four ; une étable à la suite. Une porte murée indiquait que plus anciennement on pouvait arriver à l'étable sans passer par la cour, ou que cette étable avait servi de pièce d'habitation.

La Construction

Le sol.  Sous une partie du village, le sol est formé par une roche quelquefois très dure, argilo-siliceuse, un peu schisteuse, contenant des tarets fossiles, connue dans le pays sous le nom de « rézille ». Au dessous, des couches d'argile dure, plus ou moins siliceuses, puis la craie.

Fondations. — Elles sont presque nulles, puisque le sol est ferme. Elles sont faites des matériaux les plus durs qu'onpeut trouver à Prouvais et dans des villages voisins, Amifontaine, La Malmaison, qui ont une craie résistante, tramée d'un calcaire plus compact. Le mortier est fait d'une argile sableuse piochée sur le bout d'un champ.

 Murs. — Les murs sont construits avec des briques de terre calcaire ou « carreaux » liés avec le mortier précédent ou avec une boue calcaire prise dans les chemins. Il y a quarante ans certaines rues du village étaient encore en si mauvais état, les ornières si profondes que parfois l'essieu des voitures arrivait jusqu'au sol.

Fabrication des carreaux.  Les carreaux étaient faits àt'avance par le constructeur ou un manouvrier. Il choisissait une terre calcaire marneuse et pouvait opérer de deux façons :

1° Carreaux à la tarte. — En piochant le sol mouillé du champ choisi, en le tassant ensuite, puis en découpant à la bêche des prismes rectangulaires deux fois plus longs que larges. La sécheresse durcissait ces blocs qu’on détachait et mettait en tas couverts de paillassons pour en achever la dessiccation.

2° Carreaux à la forme. — La même terre que précédemment était piochée, mise en tas, arrosée, remuée à la pelle, jetée dans un double moule, tassée et affleurée. Le moule renversé sur une plateforme unie laissait deux carreaux. L'opération se répétait jusqu'à épuisement du stock de terre préparée. Lorsque les carreaux étaient assez fermes, on en faisait des tas pénétrables à l'air, qu'on couvrait de paillassons pour que la dessiccation puisse s'achever.

Encadrement des baies.  Les carreaux n'étant pas assez résistants pour former des arêtes des baies, on eut recours à des encadrements en pierre crayeuse pour les portes donnant sur la cour, en bois de chêne pour les fenêtres et la porte du jardin. Les encadrements en bois étaient retenus par des tiges également en bois assemblées à tenon et mortaise et noyées dans la maçonnerie.

Le sol de la maison était peu surélevé. Les pièces étaient basses et je touchais la poutre soutenant le plafond en élevant le bras : la hauteur des pièces devait donc être de 2 m. 50 environ et la hauteur totale des murs d'à peu près 3 mètres avec une épaisseur de 0 m. 50.

Lorsque les murs avec les cheminées furent élevés à 2 m. 20, on plaça des poutres grossièrement équarries d'une ralaisse à l'autre en les espaçant de 3 mètres environ et on appuya dessus des solives de chêne posées à plat, puis les murs furent élevés à leur hauteur définitive de 3 mètres. Des pignons pointus se dressèrent sur les murs du bout, celui du Levant percé de deux petites baies rectangulaires sans châssis fermant.

Il entrait un peu de briques et de tuiles dans la construction des âtres de cheminée et du four. Elles étaient fabriquées dans le village, mais probablement coûteuses, car le bois du pays n'était pas abondant pour le chauffage des maisons. Quelques villages de la Champagne, peu éloignés, qui n'avaient pas encore des plantations de pins, venaient le disputer à la population locale. Les briquetiers devaient s'en procurer au loin, vers La Ville-aux-Bois et Corbeny et le transport en augmentait considérablement la valeur.

Charpente. — Les pièces de charpente étaient; comme les poutres, équarries à la hache et un bûcheron adroit pouvait les préparer lui-même. Probablement que le constructeur a tiré de quelques bois qu'il possédait ce qui lui fut nécessaire, car dans le bois du seigneur on aurait trouvé sans difficulté de plus belles pièces.

Les chevrons étaient des perches de chêne retenues sur les pannes par des chevilles de bois. Le fer même sous forme de clous, ne servait pas dans la toiture.

Couverture.  Sur les chevrons s'appliquait l'épaissecouverture de paille protégeant bien la maison contre lesvariations de température. Là encore on n'avait recours qu'à ce qu'on produisait. C'était la belle et tenace paille de seigle bien secouée et égalisée après le battage au fléau, de longues et minces perchettes pour retenir la paille, des harts (liens) : les plus estimés était le hart de mouron (viorne lantane) qu'on allait couper dans les bois. L'outillage n'était pas compliqué : un couteau pour tailler les harts, un support pour retenir les bottes de paille, une planchette à entailles pour égaliser le talon des chaumes.

Le croquis montre comment, en partant du bas, les assises de paille serrées par les liens entre les gaules ou perchettes pouvaient couvrir uniformément et solidement le pan de toit. La paille qui dépassait le faîtage était repliée et fixée sur l'autre versant, puis on recouvrait le faîte de boue calcaire battue en dos d'âne, ce qui protégeait l'endroit le plus vulnérable à la pluie.

Les toits n'avaient pas de gouttières, l'eau de pluie était écartée du pied du mur par un petit talus en craie battue.

 Plafonds.  La construction des plafonds était typique. On coupait des rondins de bois dur qu'on utilisait tels ou qu'on écartelait suivant leur grosseur, et on leur donnait une longueur égale à la distance séparant le milieu de deux solives. Puis ces morceaux étaient entourés d'un manchon de paille de seigle mêlée à de la boue claire, et. on les posait sur les solives en les pressant les uns contre les autres. Une couche de terre à carreaux était étendue uniformément sur le tout et formait le sol du grenier.

Sol. — Le sol des pièces d'habitation était aussi formé d'unterri épais. On préparait un tas de craie marneuse bien blanche, suffisant pour le travail, qu'on mouillait, remuait, étendait uniformément et damait. Lorsque la couche avait perdu de son humidité, on la comprimait avec une batte et l'opération était répétée de temps à autre pour empêcher le fendillement. Le sol ainsi obtenu était consistant, mais il était détérioré par l'eau.

En dehors du balayage, l'entretien de la propreté se faisait par un léger grattage à la bêche. Lorsque, le dimanche, la ménagère avait ravivé la blancheur du sol et rendu du brillant partout, l'humble intérieur n'était pas sans charme.

Enduits.  Ils étaient faits d'un mélange de sable argileux, de chaux éteinte et quelquefois de poils de tannerie. Une couche de lait de chaux leur donnait la blancheur. On renouvelait le blanchissage chaque année, au moins dans la pièce commune, au moment de la fête du village, ce qui était excellent pour la propreté et l'hygiène.

Menuiserie. — Les portes extérieures et les croisées avaient été sûrement remplacées, ce n'est donc que par le peu de menuiserie intérieure qu'on pouvait juger de ce qu'elle était primitivement.

Les portes étaient formées de planches clouées sur destraverses, c'est-à-dire qu'elles étaient de la construction la plus simple. Les alcôves en chêne, notamment celle de la grande salle, tout en étant simples, avaient une mouluration forte et assez recherchée. Le reste de la menuiserie était insignifiant et se bornait au manteau de cheminées et à quelques portes de niches entre le coffre de la cheminée et le mur.

En résumé, à peu près tous les matériaux de la maisonpouvaient être obtenus économiquement. Leur emploi, soit pour la construction, soit pour les réparations, était à la portée d'un homme un peu intelligent et adroit.

C'est, à y bien penser, à l'économie du paysan du début du 19e siècle, qui veillait à ce qu'il n'y ait rien de perdu chez lui que la fumée sortant de sa cheminée, qui était débrouillard et se suffisait à lui-même, qui remplissait son bas de laine, que la France dût de pouvoir développer son industrie et de se faire créancière de l'étranger.

Evolution

Dans la seconde moitié du 19" siècle, l'aisance remplaça la gêne. L'extension des routes, les transports par chemin de fer et par canaux facilitèrent les échanges. Les journaux et les voyages remuèrent les idées. Les progrès dans les sciences, dans la construction des machines et dans l'industrieamenèrent une évolution rapide, une situation encore en déséquilibre.

On abandonna ce qu'il y avait de bon dans la vie de campagne : la tranquillité, l'indépendance, la sobriété, la vie calme au milieu de la nature, et, ébloui par des exemples d'enrichis, on se rua vers les villes où on avait le mirage de plus de jouissances.

La conséquence a été la rareté de la main-d'œuvre à la campagne, l'emploi des machines, la transformation de la petite culture en grande culture.

La construction ne pouvait plus être la même. Plus riche, obligé de recourir à des professionnels, charmé au cours de ses voyages par les constructions des villes, le paysan a cherché à avoir une maison plus coquette et plus confortable, construite avec des matériaux de choix, forcément plus coûteux. Mais sans prétendre copier servilement l'ancientemps, les idées d'économie de leurs constructeurs seront toujours justes et l'emploi prédominant des ressources locales, la simplicité, la coopération dans le travail permettront seules l'édification de maisons à bon marché, à faible loyer, si réclamées actuellement.

 

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