Observations sur l'Hygiène Allemande


pendant la dernière guerre


Les dix Commandements d'Hygiène du Soldat Allemand en Campagne

Les allemands avaient longuement préparé la guerre de 1914. Rien de ce qui s'y rapportait n'avait été négligé : l'hygiène de l'armée avait notamment retenu leur attention. Ils étaient prêts.

Leurs services d'hygiène en 1870 avaient été bien organisés. Tous leurs soldats avaient été vaccinés à la caserne. Pendant que leur armée restait indemne, des épidémies, de variole notamment, faisaient des ravages énormes dans la nôtre et anéantissaient plus d'existences que les armes.

En 1914, comptant sur l'incuriefrançaise, ils pensaient avoir également cet atout formidable dans leur jeu. Les premiers soldats allemands nous l'ont assez redit : « La guerre bientôt finie, -.- allemands très forts, — français, peuple dégénéré, libertin, pourri, sale, — maisons laides, rues malpropres, — français persécutent la religion, Dieu les punira ». Comme chargés de cette mission divine, ils firent le nécessaire, brûlant et tuant, détruisant les usines, — réquisitionnant ou pillant tout ce qu'on peut imaginer, — litant leurs chevaux avec le blé non battu, — vidant les caves.

Evidemment leurs idées changèrent plus tard. Arrêtés devant le front français, ils étaient gênés pour affirmer qu'ils n'avaient devant eux qu'une poignée d'avortons ; voyant, eux qu'on menait militairement aux offices, la population remplir librement ses devoirs religieux, chacun suivant ses convictions, ils se rendirent compte que les consciences n'étaient pas opprimées ; aucune épidémie ne se déclarait dans notre armée, les services d'hygiène étaient donc organisés. Leur conclusion, alors, était qu'il n'y avait que deux bonnes armées sur terre, l'armée allemande, d'abord, qui naturellement vaincrait, et l'armée française. Par la suite toutes les autres armées leur donnèrent aussi à réfléchir.

Au début, beaucoup de soldats possédaient un petit dictionnaire édité spécialement pour l'invasion en France « Franzôsisches Tornister wôrterbuoh » qui renfermait, outre ce qui concerne la langue et les usages, les dix commandements hygiéniques que le soldat ne devait pas oublier, et qui sont bons à connaître par tous. Les voici :

1. Soldats ! Tenez-vous sains, c'est votre devoir.

Etre sain, être fort, c'est à désirer pour tout le monde, mais ils y mettaient un peu trop de vanité. Il y avait de beaux hommes chez eux. Lorsqu'au milieu de septembre 1914 je vis arriver à Montcornet (c'est là que j'ai séjourné .pendant la guerre) de ces hommes bien proportionnés dont la taille voisinait deux mètres, je ne pus, en pensant à nos soldats, me défendre d'une certaine anxiété. Mais c'étaient des troupes d'élite, heureusement que dans la guerre moderne cet appoint de colosses n'a plus l'importance qu'il avait autrefois et que ceux qui les remplacèrent ne différaient pas beaucoup des nôtres. A ces géants de la garde on eut probablement souvent recours, ils offraient sans doute trop de surface aux projectiles, car nous n'en vîmes plus par la suite.

Les soldats allemands du front n'avaient pas besoin de pratiquer les sports pour se maintenir en bonnes formes, les marches et les terrassements en tenaient lieu. Mais aux premiers temps les soldats au repos, les employés des services sédentaires, les conducteurs d'autos prenaient leurs ébats, jouaient au ballon, faisaient des exercices de trapèze en costume sommaire. Ces habitudes n'existant pas chez nous, bien des personnes furent choquées d'apercevoir des hommes faisant de la gymnastique complètement nus ou prenant, en même absence de costume, des bains de soleil, étendus sur le gazon de la prairie.

2. Tenez votre corps propre. Lavez-vous aussi souvent que possible. Soignez particulièrement vos pieds. Vie et victoire peuvent en dépendre.

Les soldats allemands suivaient bien ce précepte. Ils étaient propres, même très propres en général, surtout au début. Mais la vie des tranchées, dans la boue, la promiscuité, rendirent les soins de propreté difficiles chez eux comme nous. Maintes fois, pendant la belle saison, j'ai aperçu des soldats au déversoir du Hurtaut qui avaient ôté leur chemise et avant de la laver passaient une revue minutieuse des plis pour en extraire les poux. La vermine devint une calamité pour eux. Les services d'hygiène entreprirent des expériences pratiques, au lazaret installé dans l'école des garçons, pour les détruire. Ils s'arrêtèrent à l'emploi d'étuves où les vêtements étaient stérilisés à la vapeur surchauffée. Comme ils 'ne tâtonnaient pas longtemps, lorsqu'ils avaient décidé de passer à l'action, immédiatement ils transformèrent la sucrerie de Missy-les-Pierrepont en un établissement sanitaire « kolossal » où des régiments entiers devaient se faire traiter. Pendant que le soldat prenait une douche, ses effets passaient à l'étuve pour exterminer la vermine. Je ne crois pas que le service a longtemps fonctionné parce que passant près de cette sucrerie après la guerre une inscription m'indiqua qu'elle avait dû servir finalement à dessécher de la tourbe qu'on trouve abondamment dans la vallée de la Souche.

3. Ne buvez d'aucune eau interdite, une gorgée peut vous tuer.

A leur arrivée, les allemands firent analyser l'eau des différentes sources d'alimentation et une pancarte signala aux troupes celles qui avaient de l'eau potable.

Derrière chez moi se trouvait une pompe dans la cour fermée et proprement tenue du voisin. Le service d'hygiène fit placer une pancarte indiquant, en allemand, que l'eau n'était pas bonne. Plus tard, la cour fut ouverte par la démolition du mur, toutes les troupes des alentours vinrent à la pompe, y firent leurs lavages et jetèrent les eaux sales autour d'eux, la place devint un cloaque où il fallut mettre des planches pour poser les pieds. L'ancienne inscription ayant disparu, on en mit une nouvelle « Trinkwasser » Eau bonne à boire ! Un fléchissement se montrait donc dans les services d'hygiène.

4. Ne buvez aucune boisson alcoolique. Vin, bière ou eau-de-vie, même en petite quantité, fatiguent ou affaiblissent l'énergie.

Si ce précepte a été suivi par les soldats allemands, je crois que c'est forcément au milieu et à la fin de la guerre, par le manque d'éléments, car au début la sobriété n'était pas leur vertu. Boire du vin de France ! mais c'était une des jouissances qu'ils avaient rêvées pour cette campagne qui devait être courte et joyeuse. Quel bonheur! quand pour Noël, tout réglé, chacun rentrant chez soi couvert de lauriers, on se rappellerait les ripailles passées en buvant les vins de France. Je me souviens d'un automobiliste qui avait arrêté sa voiture devant ma fenêtre. Il avait quelques enveloppes de pneus en réserve. Je le vis faire un signe à un camarade et tirer, pour la déguster, une bouteille de vin d'une de ces enveloppes qui en était remplie, le goulot de l'une se logeant dans le fond de la précédente. Naturellement les bouteilles vides n'étaient pas mises en réserve, mais jetées dans le voisinage ou sur la route. C'est, à n'en pas douter, la cause de l'amende de cinquante ou soixante mille marks que le canton de Sissonne dût payer parce que de prétendus civils mal intentionnés avaient semé des verres cassés sur la route pour détériorer les pneus des autos allemandes. Quant aux officiers ou assimilés, même les médecins, il n'y eut jamais d'abstinence pour eux. Après avoir épuisé nos réserves, les vins du Rhin et les bières allemandes continuèrent à étancher leur soif ; il ne faudrait pas beaucoup remuer les souvenirs pour avoir des exemples de charges « kolossales » qui se vidèrent peu proprement.

5. Ne mangez pas de fruits crus. Celui qui a des coliques, des vomissements ou de la diarrhée doit demander immédiatement le médecin.

Ce commandement est excellent en temps de guerre. Les fruits consommés sont souvent ramassés sur le sol où ils ont pu se contaminer par des germes, de fièvre thyphoïde surtout, apportés par les eaux d'arrosages, par les excréments ou par les fumiers.

Pour prévenir la typhoïde, les allemands avaient dressé tout un plan de campagne. D'abord ils recherchèrent les malades existants et ceux qui avaient été atteints auparavant, car, avec l'apparence de la santé, ils peuvent conserver très longtemps le germe typhique dans leurs excréments. Dans ce but ils firent passer, dans les maisons, des femmes, aides de laboratoire ou infirmières, qui firent une enquête sur place. Les personnes suspectes, même ayant eu la maladie dans leur jeunesse, reçurent l'ordre de fournir un peu de leurs excréments lesquels furent examinés à Montcornet où se trouvait le laboratoire d'analyses bactériologiques dépendant de l'inspection de la 2' armée. Les malades civils ou les porteurs de germes étaient envoyés au lazaret de Dizy-le-Gros oùils restaient jusqu'à guérison. Plus tard cet établissement fut transféré à Effry près d'Hirson ; c'était vers la dernière année de la guerre, les médicaments manquaient, les soins laissaient à désirer et ce n'était pas sans frayeur que les civils s'y voyaient transportés.

Pour compléter ces mesures, des annonces réitérées rappelaient à la population que les fumiers devaient être désinfectés, brûlés ou enfouis ; qu'il était interdit de laisser des flaques d'eau et de purin à la surface du sol, que les rues et les trottoirs devaient être quotidiennement balayés. La guerre fut aussi déclarée aux mouches, les-quelles allant des immondices aux aliments pouvaient être des agents de propagation de maladies. Mais c'est très bien de dire qu'il faut détruire les mouches, il faut donner le moyen pratique d'y arriver. On se conforma à l'ordre par une comédie : quelques personnes furent chargées de brûler les mouches dans leurs quartiers d'hiver. Armées de torches, elles allèrent dans les caves, firent décrire à leurs flammes quelques signes cabalistiques qui étaient censé avoir détruit les insectes ; lesquels furent, on le pense bien, aussi nombreux l'été suivant.

6. Attention aux maladies vénériennes. Que celui qui croît être contaminé aille voir de suite le médecin.

Ce commandement ne devait pas leur paraître inutile ; ce ne devait pas être sans appréhension qu'ils voyaient leurs soldats vertueux approcher de ce peuple français babylonien et pourri. Pour être juste, il faut convenir que nous faisons le nécessaire pour être jugés ainsi. L'allemand croit nous connaître après avoir lu nos romans et nos pièces de théâtre où il n'a le plus souvent que l'étalage de situations vicieuses ; il ne veut voir en France que les quartiers de débauches des grandes villes sur lesquels il gémit hypocritement après les avoir fréquentés, mais il ne va pas étudier la partie saine qui existe nombreuse, il s'en est aperçu.' Il ne nous dit pas que dans leurs grandes villes partout il y a les mêmes tares mais peut-être plus dissimulées. A un allemand qui me vantait leurs mœurs saines, je faisais allusion à ce que je viens de dire, que chez eux aussi, leurs grandes villes nombreuses agiraient défavorablement, « chez nous ce n'est pas la même chose, nous avons des distractions dans nos sociétés de sport ; les familles entreprennent à pied de grandes excursions les jours de repos ; notre race se maintiendra vaillante et forte ». Pour contrôler son dire, je demandais à un autre comment il passait son dimanche, sa réponse fut « à jouer aux cartes, à boire de la bière dans les brasseries, à m'amuser ».

Les allemands profitèrent des revues mensuelles des hommes de 18 à 55 ans, pour faire passer une visite médicale à ceux qui n'avaient pas 50 ans et s'assurer qu'ils n'étaient pas .atteints de maladies vénériennes.

Au mois de mai 1916 de nombreuses jeunes filles de Lille, enlevées à leurs familles, furent réparties dans la région de Montcornet et durent aussi subir cet examen. Dès les premiers jours de l'invasion, pendant une attente à la commandanture, je remarquais un dossier sur lequel était le titre « Prostitution » mais j'ai pensé que l'espionnage les préoccupait plus que l'hygiène en le constituant.

7. Nettoyez vos dents. En cas de maux de dents, allez aussitôt voir le dentiste.

Le conseil est bon. Mais il arriva ce à quoi ils n'avaient pas pensé : que leurs soldats auraient de bonnes dents, mais n'auraient rien à se mettre dessous. Véritablement si en 1918, nous, civils envahis, mourrions de faim, réduits à manger des herbes cuites, orties ou pissenlits, le soldat allemand était pauvrement nourri. Il fallait voir sa figure triste, lorsqu'il revenait avec son repas dans le couvercle de sa gamelle : un peu de marmelade de betteraves ! Assurément la pénurie de vivres a été un des facteurs qui ont provoqué la fin de la guerre.

8. Ne mettez pas vos doigts sur les plaies récentes.

9. Ne les mettez pas dans votre bouche, il y a toujours des germes de maladies qui y adhèrent.

10. Il est sévèrement interdit de vider les eaux sales et les vases de nuit dans le. voisinage dés tentes. Le choléra et d'autres épidémies peuvent avoir là leur origine.

Ces trois préceptes terminent les dix commandements du soldat allemand en campagne. Ils sont d'application individuelle et sont surtout destinés à signaler les sources de contamination.

Dans l'ensemble tous sont excellents, leur observation est à conseiller en tout temps. La liste aurait besoin d'être augmentée de quelques commandements, dont le soldat n'avait pas à s'occuper, concernant notamment la nourriture et l'exercice pour devenir un guide d'hygiène d'utilité continue.

 

 

Les Cimetières Allemands


Si les progrès de l'hygiène ont fait diminuer le pourcentage de mortalité pour maladie ou infection, le perfectionnement de l'outillage de guerre s'est chargé de ramener avec usure à la Mort les proies que l'hygiène lui enlevait.

Les plus gravement atteints des nombreux blessés des champs de bataille furent soignés dans des lazarets proches des lignes, puis évacués dans d'autres plus en arrière, ou même en Allemagne, où ils pouvaient achever leur guérison.

Naturellement, dans la première ligne de lazarets, la mortalité était assez élevée et les allemands eurent à y annexer des cimetières. Suivant leur tactique habituelle ils propagèrent d'abord l'idée que les français n'avaient aucune considération pour leurs morts, qu'ils les laissaient se décomposer sur les champs de bataille sans les inhumer, mais qu'eux seuls avaient le plus grand. respect pour leurs héros et qu'ils voulaient que leur mémoire soit toujours honorée, leur tombe toujours entretenue C'est ainsi que les lazarets du front allemand furent accompagnés de cimetières destinés à durer, qu'ils furent remaniés et embellis pendant la guerre, suivant les idées des commandants et des architectes qui les organisaient.

A Laon, où le Lycée et l'Ecole normale étaient transformés en hôpitaux, le premier cimetière fut placé à proximité sur le plateau Saint-Vincent, au-dessus des Creuttes. Par un escalier en calcaire noir de Belgique on arrivait à un espace pavé, terrain d'attente qu'abritait en 1915 une espèce de dais que je n'ai plus vu en 1918 lors de mon retour à Laon. Des allées compartissaient le cimetière. Au bout de l'allée principale, adossé à un mur à corniche égyptienne se trouvait sur un socle le « lion allemand » accroupi. Au fond, à droite, au-dessus des Creuttes, une terrasse, pavée de grandes dalles, bordée d'une balustrade permettait à l'ennemi de jouir de la vue magnifique qu'on a vers le sud-ouest et de rêver, en contemplant la route de Paris, à la gloire et au plaisir qu'ils auraient eus à tenir la ville sous leur botte. Sur les espaces réservés aux inhumations des monuments funéraires variés, conceptions de la guerre, s'élevaient sur les tombes avec encadrement de fleurs et d'arbustes d'ornement.

J'ai retrouvé le même souci de durée et de décor dans d'autres cimetières que j'ai visités : à Neufchâtel-sur-Aisne où le cimetière allemand accolé au cimetière civil renfermait de nombreux monuments funéraires et était clos par un mur en ciment armé ciselé ; à Corbeny, à Aizelles, à Montcornet.

Le cimetière allemand de Montcornet a été dressé près du cimetière local. Commencé après la première défaite de la Marne, on lui attribua une étendue qui paraissait devoir être largement suffisante, il fut clos de haies, eût un escalier d'accès spécial et fut orné au croisement des allées principales d'une urne imposante posée sur un socle mouluré. Chaque tombe, bordée de gazon, était couverte de lierre enraciné, avait une plaque de marbre blanc encastrée dans un socle de ciment moulé en forme de pupitre et portant, gravé et doré, le nom du soldat inhumé.

Au début, l'autorité allemande eut un moment de perplexité. Elle avait fait enterrer à part les soldats français décédés. Elle se demanda s'il ne serait pas mieux de réunir à la mort, ceux qui avaient été ennemis de leur vivant. Des soldats français furent exhumés et leurs tombes mêlées aux tombes allemandes, mais plus tard on revint à la première conception.

En 1917, le cimetière était devenu insuffisant. On en créa un autre à la suite, mais sur un plan tout différent. Il lui fut donné la forme d'une grande cuvette dont le fond était bombé pour recevoir un massif de fleurs, et où les tombes se trouvaient sur les pentes de la cuvette en rangées circulaires.

Quand arriva l'offensive de 1918 ce deuxième cimetière était rempli, on en fit un troisième à la suite. Mais les temps devenaient durs ; mettant de côté les idées de vanité, on plaça les tombes en ligne, sans les embellir.

Si les allemands avaient été vainqueurs, il est hors de doute qu'ils nous auraient imposé le maintien et l'entretien de leurs cimetières. A la paix nous avons pensé que ceux-ci étaient trop nombreux, que leurs emplacements n'étaient pas bien choisis. Nous en avons installé de nouveaux, plus étendus, dans des terrains de peu de valeur, où tous les défunts ont l'égalité de la tombe simple et de la croix de bois.

Que sont devenues les stèles dressées sur les tombes ? Brisées, elles sont sans doute incorporées dans de nouvelles constructions et elles reparaîtront au jour dans un temps où on se demandera pourquoi ces pierres avec inscriptions allemandes se trouvent chez nous !

 

 

 

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