La Nourriture du Paysan de Prouvais

 

et vraisemblablement des environs

 

pendant la première moitié du dernier siècle


Depuis un siècle les transformations ont été tellement rapides, dans tous les domaines, qu'il n'est pas sans intérêt de présenter à la génération nouvelle l'image de ce qui existait auparavant, lui permettant de juger s'il y a du progrès, et alors de l'apprécier à sa valeur.

Comment un jeune homme qui voit tant de moyens de transports rapides, sur de belles routes, sur des chemins de fer, sur l'eau, dans l'air, peut-il se figurer que dans les campagnes on n'avait alors que la voiture et que le plus pratique était, une bonne partie de l'année, d'aller à pied, par de petits sentiers, tellement les chemins étaient défoncés, boueux, impraticables ?

Qu'au lieu de la multitude des machines merveilleuses, précises, automatiques, délicates ou puissantes de notre époque, on n'avait que des appareils primitifs montés en bois par des ouvriers de la localité ?

Que l'éclairage actuel, si varié et si brillant se réduisait alors à celui que donne une mèche trempée dans l'huile ?

Que le cultivateur qui a maintenant tant d'instruments perfectionnés et coûteux pour abréger la besogne n'avait qu'une charrue, une herse, une faulx, un fléau, un râteau, le tout en bois, sauf, cela se conçoit, la partie coupante ?

Que les nouvelles qui arrivent instantanément du bout du Monde n'étaient, autrefois, connues qu'après de longs mois ?

Que tous les journaux et livres instructifs abondamment illustrés par reproductions photographiques n'existaient pas ?

Comment donc était l'existence avant le bouleversement que les progrès dans les sciences et le machinisme a produit dans l'agriculture, dans l'industrie, dans l'habitation, dans les relations, dans la médecine, et même dans la nourriture ?

Je vais me contenter d'examiner cette dernière transformation en montrant ce qu'était la nourriture du paysan de Prouvais d'après ce que j'ai vu dans ma jeunesse ou en tenant compte de ce que mes parents m'ont raconté de la leur.

Le xixe siècle débuta par une période anormale. La vie agitée pendant la Révolution, les guerres de la République et de l'Empire ne furent pas sans répercussion sur la production et par suite sur la nourriture du paysan. Dans la région de Reims la misère fut à son comble au moment de l'invasion de 1814. L'hiver était rude, deux cent mille Cosaques, à peine civilisés, séjournèrent répandus sur la région, enlevant au paysan les quelques provisions qu'il avait cachées, et que l'ennemi finit toujours par découvrir après un long séjour, brûlant jusqu'aux portes et aux meubles pour se chauffer. Combien les anciens se remémoraient avec terreur cette époque où les humains réduits à la famine étaient réfugiés dans des carrières souterraines pour avoir moins froid, étaient à la merci de brutes humaines, et animales aussi, car les loups affamés venaient rôder dans les villages et devenaient agressifs.

Après la chute de l'Empire, le début du règne de Louis XVIII ne ramena pas de suite la paix intérieure, source première de prospérité. Le paysan eut encore longtemps la plupart de ses terres en friches, faute de moyens de les cultiver. Tout ce qui avait une valeur nutritive, provenant de l'état sauvage ou de la culture était recueilli. On faisait de la farine avec toutes sortes de graines, avec de l'orge, du sarrasin. Le pain noir de seigle était un pain de luxe.

Mais petit à petit la culture et la vie du paysan revinrent à la pratique qui se continuait, sans grands changements, à travers les siècles.

Le terroir, de quinze cents hectares de terres cultivables, était partagé en 6 secteurs, l'assolement triennal étant pratiqué : blé (par là on entendait aussi bien le seigle qui était surtout cultivé que le froment), avoine, versaines. Deux soles étaient réservées à chacune des parties de l'assolement.

Une grosse ferme, propriété seigneuriale appartenant à la famille de Brimont, absorbait une bonne part des terres cultivables, quatre ou cinq propriétaires avaienit encore des cultures assez importantes : cent cinquante à deux cents arpents (L'arpent se partageait, en quatre quartiers de quarante verges de dix-huit pieds, soit 160 verges valant 64 ares 72, soit à peu près trois verges à l'are) et au moins quarante petits paysans se partageaient le reste, ayant de huit à dix arpents jusque trente ou quarante. Les champs étaient très morcelés, surtout ceux des paysans, ayant un quartier (13 ares), soixante verges (20 ares), un demi-arpent (27 ares), cent verges (33 ares). Actuellement, avec les machines modernes, une division pareille serait un fléau, mais alors elle permettait au domestique, au manouvrier, l'accession à la propriété, source d'amélioration pour lui et sa famille. Les meilleures terres, les plus rapprochées du village, appartenaient pour la plupart aux anciennes familles de propriétaires, le petit paysan devait faire son choix dans de plus éloignées, c'est-à-dire aller jusque quatre ou cinq kilomètres du village qui se trouve à la lisière de son terroir.

J'insiste sur ce point pour faire mieux comprendre que le paysan, avec des terres éloignées, des chemins à peu près impraticables dans les saisons pluvieuses ne pouvait espérer de forts rendements. Sa science consistait à épuiser petit à petit le peu de matière fertilisante due au fumier ou aux façons culturales, elle restait impuissante devant une mauvaise saison. Il restait en infériorité avec les gros propriétaires qui, avec de meilleures   terres, avaient des moutons et des colombiers. Les moutons se nourrissaient d'une herbe mangée sur la terre du paysan, donnaient du fumier à la bergerie, au pacage fumaient la terre du riche. Le résultat était le même pour les pigeons.

Le petit paysan avait d'autre part un certain avantage. Il achetait une vache alors qu'il avait à peine assez de récoltes pour la nourrir, il élevait un ou deux cochons, de la volaille, des lapins, et demandait la nourriture qui lui manquait au glanage dans les champs, le long des chemins, dans les clairières des bois, ce qui lui permettait d'avoir plus de fumier, le seul engrais   employé alors, proportionnellement à la surface cultivée, et conséquemment de donner un peu de fertilité à sa terre.

Comme nous l'avons déjà dit, les relations, et l'approvisionnement venant de l'extérieur, étaient si difficiles qu'il fallait demander sa nourriture à ce qu'on produisait. Une province pouvait avoir une bonne récolte et une autre peu éloignée, être réduite à la famine. D'une année àl'autre le blé pouvait plus que doubler de prix. Or que produisait-on ?

Dans les champs on récoltait du seigle souvent accompagné de lentilles, un peu de froment dans les meilleures terres, de l'avoine, de l'orge, du sarrasin, du foin de prairies artificielles : luzerne, sainfoin, trèfle. Les pommes de terre qui sont devenues par la suite une si grande ressource, n'étaient pour ainsi dire pas cultivées au début du siècle ; les anciens se rappelaient l'apparition de sa culture dans le village. Le tubercule avait des yeux fortement enfoncés et une saveur acre, brûlante.

Dans le jardin on ne cultivait guère autre chose que des pois, des fèves, des haricots, — des carottes, des navets, — des choux, des salades, — des oignons, des poireaux, de 'l'ail et d'autres assaisonnements : persil, cerfeuil. Les arbres fruitiers n'étaient pas nombreux car il y a sous le village un banc de roche à faible profondeur qui arrête l'enfoncement des racines. En dehors du village on aurait pu trouver des sols plus propices, mais on ne plantait pas, sans doute par crainte des déprédations.

Parmi les animaux, la vache donnait son lait, les poules leurs œufs, le cochon était utilisé dans toutes ses parties.

Le seigle nécessaire à la consommation était porté à l'un des deux moulins à vent du pays. Le meunier percevait un salaire de mouture et rendait le poids en proportion fixée de farine et de son, déduction faite de la perte au nettoyage. Le son était mêlé à la nourriture du cochon et comme on n'en avait pas suffisamment on faisait écraser, sans bluter, ce qu'on appelait de la grenaille, c'est-à-dire un mélange de toutes les céréales de moindre valeur, orge, avoine, sarrasin, petit seigle qui n'étaient pas de vente ou de consommation plus avantageuse.

Comme nourriture arrivant de l'extérieur on avait peu de choses, des harengs salés que les épiciers recevaient en quartauts ou que des marchands ambulants venaient offrir à domicile.

Dans toute cette énumération de la production locale nous ne voyons rien figurer qui puisse servir à faire une boisson. Aussi la boisson normale du paysan était de l'eau, qu'on allait puiser dans un seau, avec une casse (Petit vase tronc-conique, en laiton, pourvu d'un long manche qu'on accrochait au-dessus du seau à eau potable), lorsqu'on avait soif. Les plus aisés achetaient du vin dans les vignobles des collines de Reims, à Cauroy, à Ermonville. Quelquefois ils en récoltaient un peu car il y avait quelques vignes dans la commune, ou bien, ils remontaient au nord acheter du cidre dans les villages des vallées de la Serre et du Hurtault, mais cela ne concernait que les plus riches, les autres buvaient de l'eau, et il fallait voir comme elle leur semblait bonne lorsqu'à la moisson, altérés par le fauchage sous un soleil cuisant, ils se déplaçaient pour boire, avant de remplir leur cra­paud (Bouteille de grès de deux litres en moyenne, destinée à emporter la boisson. Elle était aplatie en forme de crapaud, avec quatre arrêts sur le pourtour pour le passage d'une courroie de suspension.), une ou deux casses d'une eau remontée à l'instant d'un puits de cinquante mètres de profondeur.

A l'automne quelques paysans ramassaient des fruits sauvages, des prunelles, pour en faire une piquette rafraîchissante, mais peu agréable à boire.

C'est donc des productions précédentes : farine, légumes, fruits, laitage, porc que le paysan tirait sa nourriture. Nourriture chichement mesurée : la récolte était maigre, les familles nombreuses et l'année est longue : aussi pas de gaspillage. A midi, une soupe et des légumes ; au soir, un plat ; pas de pain à volonté. Deux fois par semaine ou plus, une soupe aux légumes avec porc salé, qui donne du bouillon pour deux jours, et un plat de légumes que le lard vieux salé assaisonnait. Lorsqu'on n'avait plus de bouillon on faisait des soupes à l'ognon avec ou sans lait, à l'oseille, au lait, mitonnée (panade). Dans les moments de disette on en faisait même avec des herbes des champs, des pênes (carotte sauvage), par exemple. Une assiettée de soupe d'autrefois n'est pas comparable à une assiettée actuelle, car on avait alors des assiettes à bords très relevés, brunes extérieurement, ayant peut-être trois fois la contenance de nos assiettes actuelles.

Le lait et la farine qu'on avait toujours sous la main formaient la base d'un grand nombre de mets : de la bouillie au lait ; des grumelets qui étaient des grumeaux de farine qu'un œuf avait agglutinés, qu'on réduisait en grumeaux plus petits en les frottant dans les mains et qu'on projetait ensuite petit à petit dans du lait en ébullition ; des vitelots, petits rouleaux de pâte cuits dans du lait ; des tourtelets, petits carrés de pâte très mince, 1 m/m environ, qu'on obtenait en laminant avec un rouleau de la pâte saupoudrée de farine repliée maintes fois sur elle-même et découpée en morceaux de sept à huit centimètres de côté qu'on projetait un à un dans une marmite d'eau en ébullition. Lorsqu'ils étaient cuits on les mettait à égoutter dans un clisson à fromage. L'eau ou brue qui était une colle légère salée, formée par la farine qui saupoudrait le tourtelet, était consommée comme bouillon. Les tourtelets se gobaient ensuite, on ne les mâchait pas. Après les avoir trempés dans une sauce faite de brue, de vinaigre et d'ail haché, ou simplement dans du lait ce qui était plus fade. Les tantimolles (crêpes) et les gaufres étaient encore de ces mets à base de lait et de farine, c'étaient surtout des mets d'hiver qu'on consommait, servis tour à tour, lorsqu'on était en cercle autour de Pâtre pour se chauffer. Les gaufres étaient mangées trempées dans du lait, quelquefois du cidre doux, quand on en avait. Il est bien compris que ce n'étaient pas des desserts : si on mangeait des gaufres on n'avait que des gaufres ; si le souper était des grumelets, on n'avait que son assiettée de grumelets.

Il était un autre souper pour les jours de grande peine. Harassée par les travaux de la moisson qui se faisaient tout à la main, la famille rentrait tard et avait alors à soigner le bétail. « Qu'est-ce que nous allons souper la mère ? — Je ne sais pas, il n'y a rien ! On soupera du lait ». Et chacun émiettait dans une assiettée de lait encore chaud, la mie d'un morceau de pain de seigle en la frottant entre les mains et y ajoutait la croûte coupée en petits dés. Et c'était tout le souper.

Les graines légumineuses, haricots, pois, lentilles, avec quelques pommes de terre pour lier, cuites à l'eau et assaisonnées de graisse où on faisait frire de l'oignon étaient souvent consommées et le plat était prévu assez abondant pour pouvoir, le lendemain, en faire un déjeuner froid en en couvrant abondamment une longue tranche de pain grillé.

Quand la pomme de terre se fut répandue elle entra dans la consommation, soit en robe de chambre cuite dans la marmite ou sous la cendre ; en fricassée, alliée à beaucoup d'oignons ; en fricot, avec du lapin ; en salades au lard. Les salades à l'huile étaient alors ce qu'elles sont encore, en utilisant la laitue, le chicon (romaine), la chicorée, la doucette et le pissenlit récoltés dans les champs, habituellement additionnés d'oignons cuits sous la cendre, mais comme leur valeur nutritive n'était pas suffisante, on faisait plus souvent un repas avec les salades au lard et aux pommes de terre, de chicorée ou scaroles, de choux rouge ou cabus, coupés en fines lanières et qu'on préparait ainsi : On faisait cuire d'abord des pommes de terre à l'étuvée qu'on écrasait après l'enlèvement de la pelure. A cette occasion chacun en mangeait une ou deux assaisonnée de sel. On faisait frire des petits lards dans une cocotte, pour obtenir l'élément gras de la salade, on ajoutait alors les pommes de terres écrasées et l'assaisonnement, vinaigre, sel, poivre, qu'on remuait dans la graisse, puis la salade ou le chou, et la cuisinière pétrissait le tout avec les mains. La cocotte placée sur un tranchoir sur la table servait de plat où chacun puisait avec sa fourchette. Le mets se conservait ainsi chaud et savoureux. La ménagère n'avait comme relavage que la cocotte et les fourchettes à nettoyer.

Pour le robuste appétit du paysan, l'œuf n'offrait guère de volume, aussi on ne le consommait le plus souvent qu'en omelette sur grillades de lard maigre ou de jambon ; en omelette additionnée de lait et de farine ; ou d'oignons coupés cuits dans la graisse avant l'adjonction des œufs; battus.

Tout ce que nous venons de citer s'appliquait à la vie de tous les jours. Il y avait des extras qui arrivaient à la cuisson du pain, au sacrifice du cochon, à la fête patronale.

Chaque maison avait son four et chaque ménagère cuisait le pain de la famille, ce qui arrivait tous les huit à dix jours, car le pain de seigle de ménage se conserve frais beaucoup plus longtemps que le pain de froment qui au bout de ce temps serait dur comme de la pierre.

En prélevant un peu de la pâte du pain, en y ajoutant du lait, notre boulangère préparait quelques, friandises bien rustiques. En enveloppant une pomme d'une feuille de pâte laminée, elle faisait une rabote. La feuille appuyée dans une tourtière et remplie de morceaux de pommes puis recouverte d'une autre feuille de pâte donnait à la cuisson un chausson aux pommes.

Il arrivait souvent qu'on cuisait à l'extrême limite, lorsqu'il n'y avait plus de pain. Pour parer au plus pressé, on roulait un morceau de pâte à pain à un centimètre d'épaisseur environ, on l'ornementait de quelques rayures losangées, puis on piquait de place en place des larderons. Aussitôt qu'un coin du four se trouvait assez chaud, on le balayait pour placer cette plaquette, qu'on appelait un gadevent, qui cuisait en peu de temps, et qu'on mangeait aussitôt, en place de pain.

A l'époque des fruits, la fournée permettait quelques flans aux prunes. En tout temps on faisait le flan au lait, où la pâte était couverte d'un mélange de lait, d'œuf et de farine que la cuisson faisait prendre et colorait d'une belle croûte colorée de jaune et de brun.

Ce jour là, le plat du jour cuisait au four. C'était souvent une cocotte remplie de couches alternées de pommes de terre, d'oignons et de tranches de lard salé.

Une autre période d'extras arrivait à la mort du cochon, généralement au début de l'hiver, en novembre ou décembre, époque choisie parce qu'alors on réussissait mieux les salaisons. Le paysan ne considérait pas le porc comme essentiellement fournisseur de viande, il appréciait surtout le lard et le saindoux. Le salé était plutôt prévu comme un assaisonnement pour les légumes et pour cette raison on poussait l'animal pour lui faire rendre un bon poids, de 250 livres à 300, avec un lard de quatre largeurs de doigt d'épaisseur.

Dans le porc rien n'est perdu. Tout ce qui n'était pas de salaison était cuisiné en fricot de foie, en boudin, en crépinettes (grosses saucisses plates), fromage de tête, andouilles pouvant échelonner la consommation. On ne perdait rien : l'eau noirâtre qui avait servi à la cuisson du boudin servait de soupe. On diminuait l'abondance en faisant une distribution à des parents et amis particulièrement chers d'une charbonnée comprenant boudin, crépinettes, morceau pour un rôti, et ceux-ci agissaient de même à votre égard, à la saignée de leur cochon, ce qui prolongeait cette époque où soi-même on faisait du lard.

Mais le grand extra de l'année arrivait à la fête paroissiale. Dès le jeudi toute la gent féminine surexcitée était en branle-bas. On mettait tout en tenue de fête. On préparait les gâteaux traditionnels avec de la farine de gruau de froment qu'on avait commandée spécialement : flans de toute nature, tournioles, (brioches en couronne), gâteaux à la casserole (gâteaux mollets), pâtés de porc et de lapin. Pendant les trois jours de fête on goûtait à la vie de riche, on avait des plats de viande, on se remplissait l'estomac qui n'en pouvait plus et c'est avec plaisir que le mercredi on se contentait d'une salade de cornichons.

D'après ce que nous venons de montrer, la nourriture du paysan de Prouvais était à base de laitage, de farines de céréales, de légumes : graines, racines, feuilles, assaisonnée de graisse. Comme boisson de l'eau. Nous pouvons nous poser cette question : quelle était la valeur de cette nourriture ?

Sans chercher loin, je répondrai sans hésitation : elle était excellente. Les dissertations ne me convainquent jamais si l'expérience ne vient confirmer longuement ce qui est avancé. Or l'expérience de siècles a montré que le paysan vivait vieux. Comme toutes les classes de la population il subissait des épidémies meurtrières parce qu'alors on ne connaissait pas leur véritable mode de propagation, mais cette mortalité n:avait pas de rapport avec la nourriture.

A Prouvais, aussitôt la guerre, sur une population de 250 habitants il y avait environ 40 vieillards de près de soixante-dix jusque quatre-vingt-dix ans, et parmi ceux-là il y en avait qui avaient eu une dure existence. L'un d'eux me parlait de sa jeunesse. Son père habitait Proviseux à 2 kilom. de Prouvais et battait à l'année les céréales de la grosse ferme de Prouvais. Chaque matin, été comme hiver, il arrivait avec ses fils à quatre heures, les pieds nus dans ses sabots garnis de foin et aussitôt commençait le battage en cadence où il faut suivre le mouvement ou s'exposer de recevoir les battes des fléaux des autres batteurs. La mère avait préparé le dîner de chacun : un morceau de pain de seigle et six noix, qu'on mangeait en hiver au milieu de la bergerie pour profiter de la chaleur des moutons. De la cuisine de la ferme on leur apportait de la soupe. Malgré une nourriture aussi mesurée pour un labeur considérable, ils ont vécu vieux.

On peut s'appuyer sur d'autres raisons que cette donnée d'expérience pour en montrer l'excellence.

Tous les animaux sont adaptés à un certain genre de nourriture et tous leurs organes sont dans une dépendance réciproque pour en tirer les éléments nutritifs. Or, parmi les organes, il y en a trois particulièrement intéressants pour la connaissance de la nourriture qui convient à l’animai : les organes de préhension, les molaires, le tube digestif. Le chat a des griffes pour capturer une proie qui cherche à lui échapper. Sa proie étant de la viande, ses molaires agissent comme des cisailles pour la déchiqueter, et, comme la viande est attaquée facilement par les sucs digestifs son intestin est court. Un herbivore comme le mouton a des molaires pourvues de replis durs et tranchants pour réduire l'herbe en pulpe très finement hachée, et, comme elle est difficilement attaquée par les sucs digestifs, son intestin est excessivement long pour que pendant le cheminement, la transformation des aliments puisse se compléter.

Les mangeurs de viande ont les molaires coupantes et l'intestin court ; les mangeurs d'herbe ont des molaires qui liment et l'intestin long. Mais l'homme a les molaires mamelonnées, lisses ; la longueur de son intestin est intermédiaire entre celle des carnivores et celle des herbivores. Grâce à ses jambes il peut courir sur le sol ; avec ses bras et ses mains, à l'état de nature, il peut grimper sur les arbres. Quelle peut-être sa nourriture naturelle ? Puisque ses molaires sont mamelonnées lisses elles conviennent pour écraser des graines, des fruits, des racines, aliments de digestion intermédiaire entre celles de la viande et de l'herbe : c'est donc la nourriture à laquelle il est naturellement adapté, c'est d'ailleurs la nourriture des animaux qui ont les mêmes caractères. Les œufs et surtout le lait qui est l'aliment complet premier, lui convient comme à tous les animaux à mamelles, qu'ils soient chat ou mouton.

Les graines, (les farines ne sont que des graines réduites en poudre), les fruits, les racines, le lait ne sont-ils pas l'essentiel de la nourriture du paysan d'autrefois ? Ne constituent-ils pas la base de la nourriture de tous les peuples primitifs : riz des orientaux ; mil et bananes des nègres ?

Mais qu'arriverait-il si nous abandonnions notre nourriture naturelle ? Il y a peu de chance de nous voir manger des herbes, elles ne flattent pas notre désir de jouissance, il faut y être forcé par la famine comme il arriva dans la région envahie en 1918 et notre corps en tirait peu de profit. Nous sommes attirés par les viandes cuisinées qui plaisent à notre odorat et à notre goût. Dans notre intestin elles séjournent trop longtemps et produisent des poisons. On les accuse de produire de la constipation, de préparer à l'appendicite et au cancer. Leurs toxines s'ajoutent à tous les autres poisons que nous absorbons sciemment ou qui se trouvent dans les déchets de la vie.

Les médecins peuvent nous guider, mais ils ont un rôle difficile. Ils veulent rendre la santé à leurs clients, mais pour ne pas les perdre ils sonttenus de ne pas trop contrarier leurs goûts. D'ailleurs sont-ils toujours dans la bonne voie ? Combien de fois des régimes en faveur ont fait place à d'autres qui ont été abandonnés à leur tour, lorsque l'expérience les a trouvés en défaut : Régime au sang et au fer, — Bon vin, viandes saignantes, — régime du tout cuit, par peur des microbes, — régime des purées et de l'eau, qui cède au régime d'aliments à vitamines, principes mal connus qui existent dans les fruits crus, les enveloppes des graines, dans les herbes et faute desquels on ne peut prétendre à la santé. On incrimine toutes les préparations industrielles ou ménagères qui les détruisent par une trop forte cuisson. On se rapproche donc de notre nourriture naturelle et je crois qu'on ne sera dans le vrai que lorsque nous nous en approcherons davantage en l'accompagnant de sobriété, d'exercice physique et de calme du système nerveux.

Il est hors de doute que depuis un siècle nous avons fait des progrès merveilleux dans certains domaines scientifiques et mécaniques principalement, mais, en ce qui touche la raison et le bonheur de l'homme je fais de fortes réserves, et que de ce côté on gagnerait à mieux examiner la vie des anciens dont on paraît vouloir prendre le contre-pied de toutes les idées. Aujourd'hui on ne se vêtit plus pour se préserver des intempéries. Les modes actuelles de coiffure, de chaussures, de mobilier n'ont rien à voir avec la raison. Au calme qui maintient la force du système nerveux nous opposons l'affollement de la circulation, l'ahurissement des musiques par sans fil ou autres, l'éblouissement des visions de cinémas. Peut-on appeler artistiques, toutes les créations modernes tapageuses et incommodes où ce qu'on trouve de beau n'est qu'une matière naturelle, bois ou marbre, que l'homme n'a fait que choisir et qu'il présente sans aucun des caractères qu'on réclame d'une belle œuvre. Cela passera, assurément la raison, le bon sens, le goût reprendront leurs droits. Efforçons-nous de réagir, n'abandonnons pas les méthodes dont une longue durée d'expérience a montré l'excellence.

 

 

 

 

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