ENCORE BIBRAX


Dans l'Almanach de l'an dernier, M. E. Homps donne un regain de nouveauté à cette vieillequestion : où était situé Bibrax ? et semble vouloir ramener une discussion, sur cette question, je vais donner mon opinion, qui est celle d'un homme qui n'est ni historien, ni linguiste, mais aime la vérité, ou si elle est difficile à découvrir, les hypothèses les plus vraisemblables.

Né dans un village qui touchait au champ de bataille dés Romains contre les Gaulois, puisque quand l'historien indique que les armées gauloises s'étendaient sur un front de douze kilomètres devant le camp, leur aile gauche devait se trouver près de Prouvais, j'ai, en parcourant la région, bien des foisarrêté mon esprit sur ce sujet, en partant de la description donnée par César.

En deux mots, la situation au début de l'année57' avant J.-C. était celle-ci : Les Romains déjà établis sur le midi de la Gaule, avaient commencé l'année précédente à compléter la conquête en remontant au nord de la vallée du Rhône, et étaient arrivés vers le milieu du pays après avoir battu les Suisses et les Germains. A l'approche de l’hiver ils avaient arrêté leur campagne, laissé des garnisons, et leur commandant Jules César avait repassé les Alpes. Toutes les tribus gauloises s'étaient irritées de cet envahissement, elles entrèrent en pourparlers pour anéantir les Romains lorsqu'ils reprendraient leur marche en-avant. César, par des espions et des messagers, était tenu au courant de leurs projets, de leurs forces de coalition ;il augmenta son armée et revint en Gaule.

Les Rêmes ou si vous voulez les Champenois, étaient perplexes. D'un côté ils étaient sollicités de se joindre aux tribus alliées ; d'un autre côté leur pays était un des premiers à être envahi ; ils savaient que leurs plaines étaient difficiles à défendre, et que leurintérêt était peut-être de se mettre en amitié avec les Romains. Ils savaient qu'ils jouaient gros jeu, mais tout pesé, ils penchèrent de ce côté et envoyèrent des ambassadeurs à César qui accepta leurs propositions, prit des garanties contre une trahison possible. Alors les troupes romaines avancèrent rapidement au-devant des masses gauloises qui se réunissaient aux Soissonnais, dont le roi avait été choisi comme général en chef, pour marcher vers Reims.

Alors vont se trouver aux prises deux forces différentes. D'un côté une multitude incohérente de Gaulois braves, l’histoire dit trois cent mille, divisée en tribus indépendantes, dont l'orgueil des chefs se prêtait mal à une action; commune, vive et bien étudiée, qui n'avait qu'un armement individuel, à peu près le même pour tous; en regard, une armée six fois moins nombreuse avec l'unité de commandement, avec une discipline parfaite, avec, l'orgueil d'être toujours victorieuse, et avec un armement supérieur. Les Romains avaient déjà lutté contre bien des peuples et après les avoir vaincus, ils en avaient tiré des corps auxiliaires en leur conservant ce qu'avait de meilleur leur manière de combattre avec des armes peu en usage chez les autres peuples. En plus, ils avaient des machines qu'ils pouvaient monter rapidement pour le siège des places fortes.

César avance donc dans la direction des débouchés des vallées de l'Aisne et de l’Ailette où allaient arriver les Gaulois, passe l'Aisne, et indique la place de son camp sur une légère éminence entre Berry-au-Bac et Guignicourt, au-dessus de Mauchamp. Disposé suivant leur méthode habituelle, il est entouré de fossés de six mètres de large dont la terre rejetée vers l'intérieur augmente la hauteur du talus du fossé de quatre mètres.

Sur la position de ce camp, aucun doute n'est possible. L'emplacement répond parfaitement à la description faite par César. Des fouilles entreprises sous Napoléon III firent retrouver les fossés ; un monument édifié pour en conserver le souvenir a disparu pendant la dernière guerre, cette place ayant été pendant quatre ans un lieu d'incessants combats. L'avance des Gaulois se dessine. Une partie de leurs troupes aborde au pays rémois et rencontre une forteresse qui les arrête ; ils essayent de s'en emparer, mais échouent. Le commandant doute de pouvoir résister à de nouvelles tentatives faites avec des forces accrues disposant de meilleurs moyens d'escalades, envoie des messagers à César pour l'informer que, s'il n'est pas secouru, sa situation est périlleuse. Celui-ci lui envoie deux détachements de ses troupes auxiliaires, archers et frondeurs, habiles à atteindre les assaillants à distance. Ils partent au milieu de la nuit, ayant pour guides les messagers envoyés et font avant le jour, qui arrive de bonne heure en juin, les douze kilomètres qui séparent le camp de la forteresse rémoise que César appelle Bibrax.

Où était ce Bibrax ? C'est sur sa situation qu'on a beaucoup écrit.

Examinons ce qu'est la région du Soissonnais où se-concentrent les tribus alliées. C'est une série de plateaux dont les villages de St-Erme, Bruyère, Lavai sont à la limite nord, dont Laon est morceau détaché, qui vont en s'élargissant et en devenant plus fertiles en /descendant vers Château-Thierry. L'Ailette, l'Aisne, la Vesle et leurs petits affluents ont creusé des vallées profondes et fertiles en mélangeant le limon qui couvre le plateau avec le calcaire et le sable qui sont au-dessous.

La plaine de Champagne, où est Reims et l'armée romaine, est un pays peu accidenté, tout au plus de petites ondulations de terrains ; seulement deux petites buttes à. Prouvais et à Brimont. Enfin dans la partie nord-ouest, à la base des plateaux, une région peu fertile où on trouve des marais vers Liesse ; des terrains maigres qu'on a utilisés pour le camp de Sissonne ; des villages éloignés les uns des autres, indice qu'autrefois leur terroir était pauvre.

J'insiste sur cette différence des ressources et des reliefs, pour bien faire comprendre que l'armée nombreuse des Gaulois se concentrant dans le Soissonnais, pays riche, allant vers Reims devaient suivre les vallées de l'Aisne ou de l'Ailette, ou le haut des plateaux et devaient donc fouler la plaine, pays des Rêmes entre St-Erme et Pontavert, à mon idée la plus grande partie au débouché de la vallée de l'Aisne, car le pays plus au nord était trop pauvre pour approvisionner de fortes armées et la distance y était plus grande du centre de commandement.

C'est donc entre ces deux limites, sur le bord du pays des Rêmes que nous devons chercher la forteresse.

Une forteresse qui résiste, je ne dirai pas à trois cent mille hommes, mettons seulement au vingtième soit quinze mille, doit avoir de forts retranchements, surtout quand les Romains, ces remueurs de terre, ont pu être des conseillers ; être dans une situation naturellement d'abord difficile et ses traces ne doivent pas être faciles à faire disparaître. Trouvons-nous un point qui présente toutes ces qualités : être à la frontière de la plaine rémoise, être facile à défendre, et se trouver à douze kilomètres du camp de César ? Mais oui, il y a au lieudit « le vieux: Laon » au-dessus de St-Thomas, Goudelancourt et St-Erme, les restes très imposants malgré les éboulis depuis 2000 ans, de ce qu'on appelle dans le pays, le « camp des Romains ». Il y a là des fossés et des talusqui ont encore peut-être dix mètres de hauteur, et étaient primitivement beaucoup plusélevés. Si on les suppose pourvus au sommet d'une palissade de, troncs d'arbres on peut comprendre que cette forteresse ait pu offrir une résistance :sérieuse aux masses gauloises.

Ailleurs,   à tous   les points   qu'on a  indiqués comme devant être cet emplacement de Bibrax, trouvons-nous des traces probantes ? Non.

Alors quelles raisons a-t-on de ne point reconnaître que ,1e « vieux Laon » est Bibrax ? En deux heures et demi les troupes de renfort bien dirigées par les guides, qui connaissaient le pays, lequel n'était pas encore envahi ou trèspeu, pouvaient alierdu camp de César à la forteresse sur un sol sec en passant entre Juvincourt et Prouvais, puis entre Amifontaine et Berrieux. César raconte que les Gaulois désespérant de prendre Bibrax descendirent dans la plaine qu'ils dévastèrent.

L'incertitude provient probablement du nom de Bibrax. qui étaitaussi le nom de Laon, et évidemment la forteresse rémoise ne pouvait être là. Mais Laon ancien et Vieux-Laon peuvent se mettre en parallèle : ils sont tous .deux à cent mètres au-dessus de la plaine ; chacun à l'extrémité d'un plateau aux pentes très raides ; ils étaient séparés du reste du plateau par une fortification transversale qu'on voitencore à « Vieux-Laon » et qui existait autrefois à Laon, à la hauteur de la porte des Chenizelles, entre la Cuve et la pente nord ; tous deux avaient de l'eau de source sur la hauteur. Y a-t-il rien d'étonnant à ce que des lieuxdans une même situation aient reçu la même appellation ? Nous avons Condé-sur-Suippe et Condé-sur-Aisne.

Je m'aventure sur un terrain qui n'est peut-être pas ferme, mais j'y vais quand même : Bibrax, d'un parler clair comme méridional est sans doute l'appellation romaine de Laon qui est plus sourde et était peut-être le nom gaulois. Les deux noms désignant le même lieu. Le Laon de St-Thomas abandonné par la suite est devenu le Vieux-Laon, tandis que l'autre est toujours resté Laon.

Alors ma conclusion arrive en désignant « Vieux-Laon » sur l'éperon au-dessus de St-Thomas comme étant le Bi­brax mentionné par Jules César.

Lecteurs, si vous avez le loisir, en passant à St-Erme, d'aller jusqu'au camp, vous ferez une promenade intéressante. Vous pourrez rêver sur les restes encore imposants des vieilles fortifications ; jouir d'une vue étendue sur le pays des Rêmes, sur cette plaine qui a été !e théâtre de tant de combats à travers les âges, jusqu'à la dernière guerre où pendant quatre ans la bataille a duré là. La cathédrale de Reims que vous pourrez apercevoir un peu à droite de Brimont semblera vous dire le pays des Rêmes est là, c'est cette plaine, qui vient comme une mer mourir au pied de cette falaise, qui nous intéresse et cet éperon portait la forteresse qui en défendait l'entrée.

 

 

 

 

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