Comparaison  des  Chiffres

de  la  Population  des Communes

du département de Aisne en 1852 et 1932


Le remède au marasme actuel

Un des buts de l’Almanach Matot-Braineest de contribuer aux rechercheshistoriques concernant les trois départements groupés autour de Reims. En dehors des trouvailles ou des fouilles récentes, elles vont, pour le passé déjàlointain, remuer les vieilles archives communales ou religieuses, les dossiers des tribunaux, ou des officiers ministériels : recherches longues et difficilesqui ne sont qu'à la portée d'érudits instruits et d'une grande patience, car les documents sont souvent écrits en vieux français, voire en patois, en latinavec abréviations, qu'ils orientent vers d'autres domaines qu’il faut ensuite explorer. Si elles mettent de l'ordre et de la précision dans les dates et lesfaits, elles sont généralement sèches, n'éveillent pas l'imagination qui nous permettra de jouer le rôle des personnages, d'avoir leur mentalité, de sympathiser avec eux, de comprendre leurs exigences pour profiter de lasituation de leur époque.

L'histoire du récent passé, qui ne va guère au delà de cent ans est plusattrayante. Elle raconte des faits que les auteurs ont vus, ou appris de parents ou de témoins qui les assaisonnent de considérations senties.montrant que l'esprit général varie, que le milieu change, qu'il ne juge pastoujours de même. Depuis plusieurs siècles, des écrivains ont été leshistoriens de ce qui s'était .passé dans le milieu  ils vivaient. De nosjours, suivant leur exemple, chaque homme qui a joué un rôle, plus ou moins important, ou qui a été un spectateur renseigné, écrit ses mémoires. En tenant compte des tendances particulières de l'auteur, on a une histoirevivante, une maille qui attachée à d'autres formera une chaîne, ou unemotte d'une veine dont les historiens tireront une histoire plus concentrée.

Recherchons donc dans notre almanach ce que nous voyons disparaître ou se développer en indiquant naturellement les causes du changement. Desindustries, des habitudes, des besoins apparaissent, seront-ilséphémères ou durables ? Que notre raison s'en occupe et tire sonjugement sur l'avenir, non seulement de notre petit coin, mais aussi de la France, du monde entier même. Il est peut-être plus important de deviner ce qui va être, que de connaître ce qui est.

A l'appui de cette idée, un tableau comparatif de la population des communes du département de l'Aisne en 1852 et en 1932, soit à 80 ans d'intervalle, peut nous amener à faire des réflexions intéressantes. Que chacun examine sa petite région, il arrivera sans doute aux mêmes conclusions que moi, si je m'attache à l'évolution des villages qui sont dans le voisinage de Prouvais. Je remarque que ceux qui sont restés villages de cultivateurs sont en forte diminution et ont perdu du tiers à la moitié de leurs habitants : Prouvais passe de 472 à 330, Proviseux de 200 à 166, Lor de 285 à 155, Juvincourt de 842 à 463, Menneville de 402 à 250, La Malmaison de 758 à 553 ; que ceux qui se sont mieux maintenus sont ceux qui ont eu des gares de chemin de fer des grands réseaux : Amifontaine de 431 monte à 575, Saint-Erme de 1.568descend à 1.444, mais a cela de particulier d'être formée de trois centres séparés et de la gare : la gare a considérablement augmentée aux dépens des anciennes sections ; Guignicourt de 494 devient ville de 1.296 âmes,parce qu'elle a réuni toutes les chances d'augmentation : nœud de chemin de fer et de routes ; voisinage de Reims ; agrément de cours d'eau : Aisne, Suippe, Canal, et d'une petite forêt à Prouvais ; d'une sucrerie importante près de Condé-sur-Suippe, et, enfin, qu'elle a commencé à ravir à Neufchâtel-sur-Aisne, pour les raisons ci-dessus, tous les fonctionnaires qui peuvent facilement abandonner un chef-lieu de canton. Neufchâtel de 863 recule à 546 : en 1852, il était la seule commune faisant figure de petite ville dans le canton, au passage de la route nationale qui va de Reims vers le nord, mais il a le défaut énorme d'être à l'extrême limite du canton, contre les Ardennes, il est donc compréhensible qu'il soit supplanté par Guignicourt qui est mieux partagé. Mais ce sont les villes Reims, Laon, Soissons qui ont été les aimants les plus forts, pour pouvoir doubler ou tripler leur population.

Le vide des campagnes s'est produit d'abord par le manque d'enfants. Au début du xix° siècle, après les guerres de la Révolution et de l'Empire, le pays était pauvre ; la prospérité a commencé à revenir vers le milieu du siècle. Beaucoup de gens, issus souvent de familles nombreuses, élevés à une école de privations et d'économies serrées, ont pensé qu'ilspourraient viser à la richesse si leurs charges de famille étaient faibles, ils ont eu peu ou pas d'enfants. Ces ménages ont disparu. D'autres, informés du gain qu'on obtenait dans les villes, principalement avec un peu d'instruction, dans l'industrie, le commerce, ou des avantages qu'on avait comme fonctionnaire : position assurée et retraite, ont été comme des papillons attirés par la lumière. Pour quelques-uns qui ont réussi àacquérir une certaine aisance, combien se sont brûlé les ailes ? qui n'ont pas compris que le plaisir de remuer dans la foule d'une ville avec de beaux vêtements, de jouir de certaines distractions était chèrement payé par une vie plus coûteuse, tout étant à acheter, perdant souvent la santé, conséquence du travail physique au grand air. A la campagne un salaireplus faible en apparence est compensé largement par des avantages qui font la vie moins chère pour celui qui le veut.

La première conséquence pour le village a été, en dehors de la perte des bons domestiques de culture, la disparition des tout petits cultivateurs, des artisans qui ayant un peu de terre étaient relativement nombreux, ils vivaient facilement en additionnant leurs deux gains. Ces petits n'étaientpas occupés toute l'année sur leur bien, Ils louaient leurs services aux fermiers pour la moisson, la couvraine, le battage, etc., et, la grosse culture a dû remplacer cette main-d'œuvre manquante par des machines.Finalement, toutes les maisons et les terres de ces amateurs de fortune, de tous ces petits qui quittaient leur village étaient vendues à vil prix et augmentaient l'avoir des sages fidèles à leur chez eux.

Une autre conséquence en découlait : les cultivateurs avaient des propriétés plus importantes, mais morcelées, peu économiques à exploiter avec les machines devenues nécessaires, ils ont par échanges, remembrement, achats, obtenu de grands champs ; les petites maisons en bon état servirent de logement à des domestiques, les autres ont disparu par vétusté, effondrement ou démolition. Les émigrants ont facilement quitté le village, mais voyez-vous, en supposant qu'ils aient la volonté de se remettre à la vie des champs, y revenir c'est une autre affaire ! il n'y a plus de logements et les grandes terres ne sont plus à la portée des petites bourses.

Il finira par s'établir un équilibre entre la production et la consommation qui sera favorable, mais ne permettra pas de donner du travail aux bras inoccupés.

En attendant, nous conservons la façade. Nous importons chaque année pour dix milliards de plus que nous n'exportons. Si on réfléchit que, depuis dix ans, de ce fait cent milliards ont quitté la France ; ajoutez-en autant pour nos prêts à l'étranger, vous trouverez qu'en moyenne grossière nos bas de laine se sont vidés de cinq mille francs par tête d'habitant. Les étrangersviennent moins cheznous. Faut-il s'étonner qu'il circule moins d'argent ? Les villes qui ont reçu l'afflux des populations rurales continuent à bâtir, à dépenser, à emprunter quand il semble bien qu'un ralentissement d'industrie et de commerce produira un départ d'habitants, conséquemment unediminution de revenus et par suite une charge de plus en plus élevée pour ceux qui restent : les chômeurs pourront-ils toujours être nourris ?

Une idée vient à l'esprit quand on songe à cet envol de nos milliards à l'étranger : Pourquoi un pays aussi bien équilibré que la France, qui peut mieux que beaucoup d'autres se suffire à lui-même a-t-il cette exportationruineuse d'argent ? C'est je crois notre progrès moderne, notre ambition, notre amour de la jouissance qui en est cause. i1 serait intéressant d'examiner le détail de nos importations. Sans chercher loin nous voyons sur nos marchés de plus en plus de produits étrangers, bananes, pommes, oranges, raisins, etc. ; l'argent que nous livrons pour acheter et entretenir nos autos va en partie au dehors pour payer le caoutchouc, les huiles, les essences, les métaux que nous n'avons pas. La force qui anime nos usinesdérive de charbon étranger pendant que le bois qui brûlait dans l'âtre de nos pères est sans valeur, tout ce qui n'est pas converti en bûches est brûlé sur place ; nous achetons au dehors des machines agricoles que nous pourrions fabriquer, etc.

De tous ces faits, de toutes ces considérations, il faut bien tirer un remède au mal actuel. Si nous, et par nous j'entends ce qui va du particulier à l'Etat, en passant par les communes, les départements, les sociétés, si nous dépensons trop, il faut ramener nos dépenses à ou au-dessous de nos revenus ; si les dettes sont ruineuses, il ne faut pas en faire, et régler les anciennes ; si nous voulons bâtir, nous attendrons que nos économies nous le per- mettent ; si nous n'avons pas de ressources et que nous voulions manger, il y a une bonne mère qui ne refuse pas de nourriture à ceux qui la lui demandent : la terre, il n'en faut pas dix ares, en moyenne, pour produire la nourriture d'un homme.

Certainement il faut tout cela, mais il faut pouvoir y arriver en douceur, par la réalisation lente et tenace, ou par la violence et une longue crise d'adaptation ? Voilà l'énigme.

Ma conclusion m'amène à l'histoire absolument vraie d'un Rémois que j'appellerai M. W... parce que je suppose qu'il est encore vivant.

I1 y a trente ou trente-cinq ans cet homme était cordonnier à Reims, ilavait une enfant malade de l'étiolement dans la ville et le médecin ne voyait guère qu'un moyen de pouvoir la sauver : la replacer dans la viesaine de la campagne. M. W... jeta son dévolu sur Prouvais, village sain, touchant à une colline boisée. La grande désertion y avait laissé biendes maisons vides, il put en acheter une à bon compte, pourvue de jardinavec arbres fruitiers ; il acheta aussi quelques petits champs ; il s'installaet conduisit sa vie comme autrefois. Il laboura ses champs à la bêche, jeta sa semence à la main, coupa ses récoltes à la faulx, les ramena chezlui avec sa brouette et les battit au fléau. Il eut ainsi du foin, du grain, de la paille pour entretenir chèvre, lapins et volailles. De son potager il tirases légumes et des fruits. Le bois de son chauffage il n'avait qu'à le ramasser dans la forêt où il se perdait.

Que lui manquait-il donc ? Du pain et un peu d'épicerie. Maisl'exploitation de son petit bien ne lui prenait pas tout son temps, à beaucoup près. Il continuait son métier de cordonnier, il avait la spécialitéd'une espèce de pantoufles qu'il écoulait à Reims en même temps que le surplus des produits de sa basse-cour et en obtenait plus que ses besoins. J'estimais cet homme courageux, au jugement droit, ne voyant pas l'avenir en noir. Après la guerre sa maison fut reconstruite, il avait perdu son enfant, sa femme avait la nostalgie de la ville, l'âge l'affaiblissait,il revendit son bien et retourna à Reims. Voilà ce me semble un exemple à suivre pour remédier au chômage : aller à la campagne, cultiver pour se nourrir et employer le temps libre à un petit métier, ou le mettre auservice d'un employeur au moment du grand travail.

On pourra objecter que ce M. W... était encore un heureux puisqu'il avait un peu d'avance pour se procurer, au bon moment, la chaumière et la terre. Je peux donner l'exemple d'un autre qui était venu un jour s'arrêter au village, n'ayant pour tout bien qu'une nombreuse famille, il pensa qu'ilpourrait vivre à Prouvais et s'installa dans un champ inculte à la lisièred'un bois. On l'avait surnommé « le Boer », il venait de la Thiérache, de la région du Nouvion ou de Buironfosse où bûcheron devait être son principal emploi. I1 construisit une chaumière comme j'en avais déjà vu construire dans son pays : on plante des pieux de la hauteur à donner à la pièce aux angles, aux baies, dans les vides intermédiaires trop grands, puis on entrelace des baguettes comme pour une vannerie pour les murs. Ensuite d'un bon tas de mortier argileux mêlé de petit foin, avec les mains comme truelles, on enduit les parois ; une couverture de chaume, quelques planches clouées sur traverses pour la porte et la fenêtre et on est logé chez soi. « Le Boer » quitta sa chaumière plus tard, elle était loin de la fontaine, et l'approvisionnement en eau était pénible.

Une conclusion est bien difficile. Nous ne pouvons retourner à l'état primitif du sauvage ; il n'est pas désirable de perdre le bénéfice du grand pas en avant, mais il faut que nous puissions tousvivre autrement que paraumône. Il y a des machines merveilleuses qu'il faudra conserver, mais des machines qui ne doivent pas réduire l'homme à la famine. Il faut conserver un certain confort, une meilleure hygiène dont nous avons pris l'habitude, mais en l'adaptant à l'usage des gens qui n'ont pas de sous.

L'instruction est bonne, une portion est inutile et coûteuse et lance dans des culs-de-sac, il faut savoir la doser.

Le mot d'ordre pour le besogneux doit être économiser, économiser partout, dans tous les domaines, distinguer le vrai du charlatanisme ; laréalité du rêve ; revenir au bon sens : manger pour se nourrir ; s'habiller pour conserver au corps sa température ; se loger pour se préserver des intempéries ; se forger de beaux rêves pour tenir lieu de ceux que les autres nous font voir à l'écran à haut prix, s'habituer à voir dans la nature les merveilles que nulles œuvres humaines ne peuvent égaler, apprendre à s'émouvoir des harmonies qui s'offrent chaque jourà nos sens.

 

 

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