Un dernier mot sur Bibrax


II convient de louer M. Homps de l'ardeur qu'il met à collectionner toutes les idées se rapportant à la bataille de Jules César sur les bords de l'Aisne et à la position de Bibrax. Evidemment elles n'ont pas toutes de la valeur, et, comme un minéralogiste riche de sa moisson de pierres, qui rentré au logis fait un triage, et sépare les pierres précieuses d'avec les non-valeurs, il se devra de faire connaître le résultat du triage qui s'impose, et qui donnera il a plus grande lumière sur le sujet qui intéresse les Rémois.

J'ai donné ma façon de penser dans l'almanach de 1934, me recommandant seulement, comme enfant de la région, de la connaissance de tout le pays que j'ai parcouru, à pied, dans tous les sens. Je n'ai lu aucune notice sur ce sujet, ne m'appuyant que sur les commentaires de César, c'est peut-être un bien, car je ne suis pas influencé par d'autres idées.

Je ne reviendrai pas sur ce qui est admis par tous : César venant de la région de Reims, où il trouve de 3 approvisionnements, renseigné par ses espions et par les Rémois, sur le rassemblement des Gaulois et des Belges va dans leur direction, et établit son camp à un endroit avantageux pour leur livrer bataille. Il est connu : c'est une légère éminence près de Berry-au-Bac entre l'Aisne et les marais de la Miette qui le protègent sur trois côtés ; sur le côté ouvert, côté Prouvais, il établit des tranchées et des forts.

Avant de se faire une idéede la bataille, il convient de bien connaître le pays. J'en ai déjà donné un croquis dans l'almanach de 1934 en le considérant comme vu au-dessus des collines de Saint-Erme. J'en donne un autre, pour fixer les idées de ceux qui ne connaissent pas bien la région, comme on pourrait le voir d'un aéroplane volant entre Reims et le camp.

Examinons donc le croquis. A droite, la plaine, à ondulationslégères qui à distance n'en détruisent pas la platitude, de 80 mètres de hauteur moyenne au-dessus de la mer, continuation de la plaine crayeuse des environs de Reims. L'Aisne, la Suippe, traversent le pays, mais sans creuser de profondes vallées ; des hauteurs de Saint- Erme ou de Craonne on ne devinerait pas que ces rivières existent, s'il n'y avait pas de lignes d'arbres pour en marquer le cours. A gauche, pays tout différent, une région de plateaux et de collines d'une hauteur de 180 à 200 m. au-dessus du niveau de la mer, par conséquent de 100 m. plus élevées que le pays plat ; formées de sables que recouvre une table calcaire très découpée qui maintient la forme des plateaux étroits. Entre les plateaux il y a des vallons et des vallées, de l'Aisne, de l'Ailette, où les eaux infiltrées dans les sables déterminent généralement des fonds marécageux avant de gagner les cours d'eau, ce qui a obligé les villages à s'édifier sur le bord des pentes. Les côtes nord et les pentes trop raides sont souvent boisées.

Pour mieux saisir la différence des deux régions, supposons nous à Laon sur les promenades du tour de ville, personne n'hésitera pour dire : Voilà, au nord le pays plat ; au sud une région montagneuse. Prenons le train pour Reims : le chemin de fer suit à peu près la limite des deux régions jusqu'à Saint-Erme il entre dans le pays plat, au sol crayeux. A Craonne et sur les autres sommets Roucy, etc., sur ce qu'on appelle les « Falaises de l'Ile de France », nous comprenons que nous sommes à la séparation de deux régions totalement différentes.

Reportons-nous maintenant à ce qui concerne Bibrax dans les commentaires. César a fortifié son camp. Les Belges arrivent, par quels chemins ? On n'en sait rien. Vraisemblablement les trois cent mille hommes (ce n'est pas rien 300.000 hommes !) circulant dans un pays n'ayant pas nos routes modernes, ont dû couvrir tous les chemins sur les plateaux ou à flanc de coteaux de la région montagneuse entre l'Aisne et la plaine du Nord pour arriver entre Pontavert et Saint-Erme. Je ne me figure pas les Belges du Nord allant s'entasser dans la région de Soissons pour revenir à l'Est : bref, ces Belges trouvent sur leur chemin une forteresse rémoise appelée Bibrax, essaient de s'en emparer, mais l'abandonnent après que César a envoyé des renforts.

J'ai dit la conviction que j'avais que ce Bibrax était au « Camp des Romains, au Vieux Laon » au-dessus de Saint-Thomas : il est à la distance fixée par César ; il se trouve certainement sur le chemin suivi par une partie des belligérants ; Il y a encore les restes impressionnants d'une forteresse. Des objections sont présentées : Le pays des Rémois venait-il jusque-là ? Il me semble qu'il n'y a aucun doute. D'après ce que j'ai dit plus haut, il est la continuation naturelle de la plaine rémoise ; l'Aisne n'a pas assez d'importance pour être une limite de province, mais cela pouvait être quand elle sépare nettement deux pays différents. Les limites des provinces n'ont pas été en perpétuel changement : une carte de France de 1750, divisée en anciennes provinces, indique la limite de la Champagne, dans la régionenvisagée, au tiers de la distance entre l'Aisne et Laon, ce qui l'étend jusqu'au pied des collines à Saint-Erme. Mais la meilleure preuve, qui me confirme que Bibrax était à Saint-Thomas, est la mention de César : « Les Belges restèrent quelque temps alentour (Saint-Erme, Outre, Goudelancourt, Saint-Thomas, Berrieux, Aizelles) dévastèrent la plaine (une traduction allemande dit : «flache Land » pays plat) brûlèrent les villages et les maisons sur leur passage et s'arrêtent à moins de 3 km du camp ». Puisqu’en quittant la forteresse les Belges étaient dans le pays plat, elle était donc la limite. Tous les autres lieux cités, Beaurieux, Bièvres, Vieil-Arcy, Roucy ne répondent pas à cette mention, car du côté du débouché de la Vallée de l'Aisne des éminences secondaires ne font guère commencer le pays plat qu'à la route de Reims à Laon. En brûlant Sissonne, Amifontaine, La Malmaison, Prouvais, Proviseux, La Ville-aux-Bois, Juvincourt, les Belges exerçaient évidemment des représailles contrc des villages rémois : ils n'auraient pas anéanti les biens de leurs alliés. De plus, ils faisaient cette dévastation après leur échec contre Bibrax : la plaine du camp romain à Saint-Thomas n'était donc pas encore occupée ou très peu par les Belges au moment de l'envoi de renforts à la forteresse. Le voyage était facile, car la région est sèche, surtout au mois de juin, sans difficultés lorsqu'on est guidé. Les marais de la Miette, en été, sont souvent à sec puisqu'on peut en faucher l'herbe pour faire de la litière, il y avait des passages pour les habitants, et, d'ailleurs il suffit de peu de choses pour faire un pont sur un ruisseau de moins de trois mètres de large. On peut objecter, qu'alors, les marais étaient en mauvais état, c'est possible.

En résumé, le camp de Saint-Thomas répond entièrement, et mieux que tous les autres lieux cités, à tout ce qu'indiqué César, et je considère que Bibrax était là. Si ce n'était pas là sa position, il conviendrait de chercher une réponse à cette question : Pourquoi la forteresse de Saint-Thomas a-t-elle été faite, et à quelle époque ?

Après la conquête de la Gaule, les Romains restèrent maîtres du pays pendant près de quatre cents ans, y firent ces œuvres de paix : routes, ponts, édifices, dont tes vestiges se retrouvent dans tout notre pays. N'ayant à lutter aux frontières du Nord et de l'Est que contre les hordes envahissantes, ils n'avaient doncpas à fortifier, à l’intérieur, d'une façon aussi formidable pour l'époque, l'éperon de Saint-Thomas. Ce n'est pas le mode de défense à l'époque de la féodalité. Il semble bien qu'il faut revenir à une défense existant au moment de la Conquête romaine, défense qu'on a bien pu renforcer par la suite.

Pour ce qui est de la campagne, de la bataille, du mouvement des belligérants, il faut pour l'aborder se muer en général ; mais les précisions sont si faibles, il y a tant d'incertitudes et de lacunes, que ce qu'on pense est du rêve, et, chacun peut rêver différemment, surtout en mêlant l'ancien et le moderne, le commandement, le transport, la manœuvre, l'esprit des troupes, le ravitaillement, etc... C'est un champ à discussions infinies que je ne veux pas cultiver.

 

 

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